Même si, de par le contexte d'âge, il ne pourra pas y avoir des tonnes de sujets dans ce topic, j'ai envie d'étoffer ces colonnes avec une de nos rares actrices encore de ce monde à cet âge, Suzy DELAIR .
Considérée, sans doute juste après Arletty, comme le symbole parfait de la gouaille parisienne ( où elle est née en 1917 ), l'apogée de sa carrière s'est située dans la période infiniment trouble de la seconde guerre mondiale et des 5 années qui ont suivi . Elle a bouclé sa filmographie dans les seventies avec le mémorable Rabbi Jacob de Gérard Oury ( le rôle de Mme Pivert, l'épouse de Louis de Funès étant primitivement dévolu à la conjointe habituelle de l'irrascible Fufu, Claude Gensac, mais celle-ci n'avait pas pu interpréter le personnage pour raison de santé )
et le fort dispensable
"Oublies-moi Mandoline" de Michel Wyn, sa dernière apparition au grand écran.
Après sa période phare, on a surtout noté des seconds rôles dans 3 productions qui ont réellement compté, à savoir les "Gervaise" et "Paris brûle t'il" de René Clément ou le "Rocco et ses frères" de Luchino Visconti . Le reste, à part peut-être le "Lady Paname" d'Henri Jeanson (sans doute le dialoguiste le plus célèbre du cinéma Français après Michel Audiard), mérite probablement moins de rester dans les mémoires, surtout le navrant "Atoll K" (1951)
, qui avait par ailleurs scellé définitivement la mort cinématographique du duo "Laurel & Hardy"
!
.
En s'affirmant progressivement au cours d'environ une douzaine de films relativement secondaires dans les années 30, elle a explosé au cinéma avec le rôle de Mila Malou dans "Le dernier des six" (1941), un polar de Georges Lacombe, où elle partageait la vedette avec Pierre Fresnay dans le rôle du commissaire Wens . Devant le succès du film en ces temps d'occupation, son compagnon de l'époque, l'immense Henri-Georges Clouzot, a immédiatement repris les deux personnages pour réaliser un de ses chefs-d'oeuvres, "L'assassin habite au 21", aujourd'hui unanimement considéré comme un des plus grands classiques du cinéma Français :
Après la guerre, elle fera encore deux films importants, le "Copie conforme" de Jean Dréville ( où, pour l'anecdote, les trucages de cache-contrecache utilisés pour voir apparaître un Louis Jouvet face à lui-même feront grosse impression ), et l'inoubliable "Quai des orfèvres" de H.G. Clouzot
d'avec lequel elle se séparera juste après la fin du film . Cette séparation, mais on peut imaginer qu'elle ne le sait pas encore, va commencer à sceller son déclin cinématographique ( mais pas sa disparition, comme expliqué plus haut ), car si elle va encore tourner dans quelques films notables, ce ne sera plus en 1ère vedette féminine, à part - l'éternelle exception qui confirme la règle - peut-être dans "Les aventures de Rabbi Jacob" ( et encore, son personnage n'y est pas primordial ) .
Comment donc expliquer ce relatif déclin à l'aube des années 50 ? On peut y voir sans doute le fait qu'elle ait été l'égérie de Clouzot, lequel lui a fait tourner ses 2 films majeurs, et que leur divorce ait de fait stoppé immédiatement une probable et forte collaboration à l'écran . On peut sans doute y ajouter que, si elle faisait preuve d'une incontestable présence et d'un charisme certain à l'écran, il n'est pas méchant de considérer qu'elle n'ait pas été non plus une si remarquable comédienne imposant de fait sa présence dans d'autres productions majeures du 7ème art Français .
Mais l'argument principal relève peut-être aussi qu'elle ait fait montre de quelques sympathies Germaniques pendant l'occupation ! A la libération, elle n'aura qu'une peine légère de 3 mois de suspension par le comité d'épuration, mais on peut imaginer qu'une certaine rancoeur publique a probablement influencé de façon négative la suite de sa carrière .
Le jugement - si jugement il doit y avoir
- pour les artistes phares de cette période est toujours infiniment difficile à porter . Qu'ils soient acteurs ou chanteurs, les personnalités artistiques de l'époque ont logiquement cherché à poursuivre leur carrière, et il leur était difficile - voire impossible - d'éviter une certaine collaboration avec les autorités allemandes, ceux-ci détenant alors les clefs des sociétés de production, tant au cinéma qu'au Music-Hall. Ce n'était pas pour autant une participation active à "L'état Français" et au gouvernement collaborationniste de Vichy .
Bien des noms ont vu ce type de reproches leur être adressés après la guerre ( Edith Piaf, Maurice Chevalier - apparemment à tort - , Charles Trenet, Fernandel, Arletty ........ ). Certains doutes sont ensuite tombés, d'autres perdurent ou se sont sonfirmés, mais globalement leurs carrières ont continué, avec plus ou moins de bonheur . La phrase la plus célèbre sur ce contexte restera sans doute celle d'Arletty à propos de sa liaison avec un officier Allemand : "Mon coeur est Français, mais mon cul est international !
" N'oublions pas non plus que pas mal de chefs-d'oeuvres et d'excellents films Français ont été réalisés pendant ces années difficiles, tels "Les visiteurs du soir" et "Les enfants du paradis" de Marcel Carné, le "Goupi mains-rouges" de J. Becker, "L'éternel retour" de Jean Delannoy, sans compter "Le corbeau" de Clouzot lui-même qui a d'ailleurs valu bien des déboires au metteur en scène à la libération . Ces films, qui font aujourd'hui incontestablement partie intégrante du grand patrimoine cinématographique Français, n'ont souvent pu se faire que sous feu vert des autorités allemandes
!
Quoi qu'il en soit, Suzy Delair et son "petit tralala" , aujourd'hui centenaire, sans pour autant avoir été une Simone Signoret ou une Romy Schneider, aura de toute façon, à sa manière bien à elle, marqué définitivement le cinéma Français !
Filmographie :
1930 : Un caprice de la Pompadour de Willi Wolff et Joë Hamman : une soubrette de la Pompadour
1932 : Violettes impériales d'Henry Roussel
1933 : La Dame de chez Maxim's d'Alexander Korda
1933 : Le Sexe faible de Robert Siodmak : une couturière
1933 : Touchons du bois de Maurice Champreux : la copine de jeu
1933 : Professeur Cupidon de Robert Beaudoin : une élève (créditée Suzy Delaire)
1934 : L'Or dans la rue de Curtis Bernhardt : Madeleine
1934 : La crise est finie de Robert Siodmak
1934 : Poliche d'Abel Gance : une danseuse
1935 : Ferdinand le noceur de René Sti : une prostituée
1935 : Dédé de René Guissart
1936 : Prends la route ! de Jean Boyer
1937 : Trois, six, neuf de Raymond Rouleau
1941 : Le Dernier des six de Georges Lacombe : Mila Malou
1942 : L'assassin habite au 21 d'Henri-Georges Clouzot : Mila Malou
1942 : DĂ©fense d'aimer de Richard Pottier : Totte
1945 : La Vie de bohème de Marcel L'Herbier : Phémie/Femia
1947 : Copie conforme de Jean Dréville : Coraline
1947 : Quai des Orfèvres d'Henri-Georges Clouzot : Marguerite Chauffornier Martineau, alias Jenny Lamour
1948 : Par la fenĂŞtre de Gilles Grangier : Fernande et Yvette
1949 : Pattes blanches de Jean Grémillon : Odette Kerouan
1950 : Je suis de la revue (Botta e risposta) de Mario Soldati : la chanteuse
1950 : Lady Paname d'Henri Jeanson : Raymonde Bosset dite « Caprice »
1950 : Souvenirs perdus de Christian-Jaque : Suzy Henebey
1951 : Atoll K de Léo Joannon : Chérie Lamour
1955 : Le Fil Ă la patte de Guy Lefranc : Lucette Gauthier
1956 : Le Couturier de ces dames de Jean Boyer : Adrienne Vignard
1956 : Gervaise de René Clément : Virginie
1960 : Les RĂ©gates de San Francisco de Claude Autant-Lara : Lucilla
1960 : Rocco et ses frères (Rocco e i suoi fratelli) de Luchino Visconti : Luisa, la patronne de la blanchisserie
1963 : Du mouron pour les petits oiseaux de Marcel Carné : Antoinette la bouchère
1966 : Paris brûle-t-il ? de René Clément : une Parisienne
1973 : Les Aventures de Rabbi Jacob de GĂ©rard Oury : Germaine Pivert
1976 : Oublie-moi, Mandoline de Michel Wyn : Mireille